Les primes versées en assurance-vie et manifestement exagérées sont rapportables… à la condition que le bénéficiaire soit un héritier ab intestat
Ce qu’il faut retenir
La loi réserve une quote-part de la succession (la réserve héréditaire) à certains héritiers : les enfants du défunt ou, à défaut d’enfant, le conjoint survivant.
Lorsqu’une libéralité (donation, legs) consentie à un héritier ou à un tiers empiète sur la réserve, elle est réductible.
En dehors de tout empiètement sur la réserve, seules les libéralités faites aux héritiers (réservataires ou non) doivent être rapportées afin de maintenir l’égalité entre les héritiers désignés par la loi : le rapport est uniquement dû par les héritiers légaux du défunt (héritiers ab intestat), tel n’est pas le cas des petits-enfants du défunt.
Cass. civ. 1. du 8 mars 2017, n°16-10384
Conséquences pratiques
Exemple :
Monsieur X décède en laissant un fils et une fille ainsi qu’un patrimoine de 90000 € au jour de son décès. Il avait par ailleurs consenti une donation à son fils, en avancement de part, pour 30000 €.
La réserve héréditaire de chaque enfant s’élève à 40000 € ((90000 + 30000) x 1/3).
La donation de 30000 € consentie au fils n’empiète pas sur la réserve héréditaire de sa soeur, elle n’est donc pas réductible.
Cependant, la donation a été réalisée à un héritier et en avancement de part, elle est donc rapportable. Ainsi, les deux enfants se partagent une masse totale de 120000 € composée des biens existants (90000 €) et de l’indemnité de rapport due par le fils (30000 €) :
– Le fils reçoit sa quote-part de succession, soit 60000 €, déduction faite de son indemnité de rapport de 30000 €, soit au total 30000 €.
– La fille reçoit sa quote-part de succession, soit 60000 €.
Les biens existants au jour du décès, estimés à 90000 €, ont été partagés en tenant compte de la donation déjà reçue par le fils. En définitive, chaque enfant a reçu 60000 €.
Faisons le point sur les donations qualifiées de « rapportables » à la succession.
Condition tenant à la qualité d’héritier
Un petit enfant gratifié par le défunt ne doit jamais rapporter les donations qu’il a reçues quand bien même il serait désigné légataire ou viendrait à la succession donateur en représentation de son parent renonçant ou prédécédé. En effet, dans ces deux cas, le petit enfant ne vient pas à la succession en qualité d’héritier légal.
Le seul cas où le petit enfant viendrait à la succession en qualité d’héritier légal est celui où le défunt n’aurait qu’un enfant et que ce dernier soit prédécédé ou ait renoncé à la succession. Le petit enfant viendrait alors de son chef à la succession mais dans cette hypothèse, il n’y a pas d’autres héritiers de même rang, aucun rapport ne serait alors dû.
Attention :
Lorsque le petit enfant vient à la succession en représentation de son parent (renonçant ou prédécédé) il doit rapporter les donations consenties par le défunt à son parent (C. civil art. 848).
Condition tenant à la libéralité rapportée
Civilement, toutes les donations authentiques, les dons manuels, les donations déguisées ou indirectes (telles que les primes manifestement excessives versées sur un contrat d’assurance-vie) sont rapportables.
Inversement, les legs, les donations expressément dispensées du rapport civil, les donations partages ou encore les donations rémunératoires ne doivent pas être rapportés.
Rappel :
Fiscalement, toutes les donations authentiques, dons manuels, donations déguisées et indirectes, donations partages doivent être retenues pour le rappel fiscal et la taxation aux droits de succession dès lors qu’elles ont été réalisés moins de 15 ans avant le décès du donateur.
Pour aller plus loin
Contexte
En cas de décès, les héritiers sont désignés par la loi. Cette désignation peut être modifiée par le défunt dans une certaine mesure. En effet, le mécanisme de la réduction et du rapport permettent, l’un de protéger la réserve de certains héritiers (les enfants ou le conjoint survivant à défaut d’enfant) et l’autre de maintenir l’égalité entre les héritiers en tenant compte des donations qu’ils ont déjà reçues du défunt.
Seuls les héritiers réservataires peuvent demander la réduction des libéralités qui empiètent sur leur réserve mais tout héritier désigné par la loi (héritier ab intestat) peut demander le rapport :
- Lorsque le défunt laisse des descendants, les héritiers légaux sont les enfants.
- Lorsque le défunt ne laisse pas d’enfant, les héritiers légaux sont les parents et les frères et sœurs.
Attention :
Lorsque le défunt laisse un conjoint, ce dernier ne doit jamais rapporter les donations qu’il a reçues car le rapport est dû uniquement entre héritiers de même rang (par définition, le conjoint survivant est le seul de son rang).
La récente décision de la Cour de cassation illustre l’application du rapport, prévu aux articles 843 et suivants du code civil, combinée aux dispositions spécifiques du code des assurances.
Une précédente décision (Cass. civ. 1. du 25 juin 2014) avait retenue l’absence de rapport dû par une association bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, position confirmée dans le cas où les bénéficiaires du contrat sont les petits enfants du défunt (Cass. civ. 1 du 8 mars 2017, n°16-10384).
Faits et procédure
Madame X décède en laissant pour lui succéder ses deux fils, Monsieur Y et Monsieur Z. Elle avait, par ailleurs, souscrit une assurance-vie au profit des enfants de Monsieur Y.
Monsieur Z assigne son frère et ses neveux et nièces devant le tribunal en partage de la succession et demande à ce que ces derniers rapportent les primes versées en assurance-vie au motif que leur montant serait manifestement exagéré.
La Cour d’appel fait droit à cette demande en statuant en faveur du rapport dû par les enfants de Monsieur Y à hauteur des primes versées sur un contrat d’assurance-vie.
Arrêt
La Cour de cassation infirme l’arrêt d’appel et rappelle que « le rapport des libéralités à la succession n’est dû que par les héritiers ab intestat » conformément à l’article 843 du Code civil.
Analyse
Par principe, l’assurance-vie est un actif hors succession tant en ce qui concerne sa fiscalité que sa transmission. Ainsi, le souscripteur peut désigner la personne de son choix et n’est pas tenu de conserver une partie du capital en faveur de ses enfants réservataires.
Toutefois, cette souscription peut être remise en cause si le montant des versements est manifestement exagéré compte tenu de l’âge, l’état de santé, de la situation familiale et patrimoniale, les revenus du souscripteur et l’utilité de l’opération d’assurance au moment du versement.
C. ass. art. 132-13
Cass. civ. 2. 07/02/2008
Cass. Ch. Mixte 23/11/2004
Dès lors que le versement excessif est caractérisé, l’intégralité des primes doit être rapportée selon la jurisprudence dominante (Cass. civ 1 du 1 juillet 1997, n°95-15674). Au contraire, la doctrine considère que seule la partie excessive des primes doit être rapportée (Cass. civ. 1 du 4 juillet 2007, n°06-16382).